Petite nouvelle d’Halloween
Je vous ai parlé hier d’Halloween et cela me donne un excellentissime tremplin pour vous raconter cette anecdote effrayante qui m’était arrivée, rapidement abordée un jour en story. Vous aviez été nombreuses à me demander que j’en parle plus en détails ici alors voici mes Odette pourquoi j’ai sauvé la vie de Josselin en 2012, et la mienne (même s’il refuse toujours de me croire).
Mois de mai – Josselin et moi sillonnions les routes d’Australie dans un van de location. Pas d’enfant, pas d’attache, pas de permis de conduire (pour moi), nous avions travaillé 6 mois à Sydney et avions décidé de voyager, voir du pays avant de clôturer notre trip et rentrer chez nous. Premier jour, première soirée de baroudeurs, nous devions trouver un endroit pour dormir et rapidement. En Oz, on ne peut pas dormir où l’on souhaite avec son van, en dehors des dangers naturels, tous ces voyages sont très encadrés et les routes, la nuit, dangereuses en raison des sauts intempestifs de bêtes en tous genres qui se jettent sous les roues des voitures, créant parfois de terribles accidents. Jo commençait à être embêté car il ne trouvait pas le campground en montagne qu’il avait repéré pour notre première nuit, nous avions pris du retard sur le planning, le soleil tombait. A mesure que nous nous enfoncions dans la montagne peuplée de millions d’Eucalyptus et que le soleil se couchait peu à la peu, la radio crépitante marquant l’absence progressive de réseau… nous trouvâmes enfin le lieu-dit, à la nuit tombée. Pour les chanceuses ayant eu l’opportunité de voyager en Australie, quand on parle de « nuit tombée » là-bas, dans la campagne australienne, c’est la nuit noire. On ne connait pas ça nous, en France, ne pas voir à 2 cm de son nez.Rien. Ne rien distinguer du tout. J’angoissais, pas parce que je ne voyais plus à 1 mètre de moi. J’angoissais depuis le premier virage de cette montagne que nous avions entamé 1h auparavant, je n’arrivais plus à respirer. Enfin arrivés, nous fûmes surpris de trouver un campground absolument désert. Enfin, pas tout à fait…
Un homme se tenait là, debout, seul, éclairé par son feu de bois. A première vue, il campait accompagné de sa Jeep, de sa tente et d’une petite carriole qui, à ma grande surprise, malgré son bivouac austère comprenait une cuisine très équipée : herbes aromatiques en tous genres, boîtes de conserves pouvant nourrir une année de famille survivaliste et une collection de très nombreux couteaux aimantés à un mur, de ce qu’il trainait manifestement derrière lui sur la route comme la cuisine de sa plus grande demeure. Le campement était circulaire, nous passâmes en ralentissant devant lui afin de trouver une place, il n’en manquait pas. Nous étions seuls, enfin, seuls avec lui. Je me souviens l’avoir observé le temps de tourner autour du chemin balisé, je me revois vivre ces quelques secondes passées devant lui, activant inconsciemment le mode rafale de l’appareil photo de mon cerveau en vue d’engranger, encaisser, imprimer puis traiter un maximum d’informations. Josselin coupe finalement le moteur, pas mécontent d’être arrivé. Nos phares s’éteignent. L’obscurité domine pleinement. Le monsieur a éteint son feu.
– « On n’est pas bien là ? Je suis trop content, t’as vu il est trop peinard le mec là, avec sa cuisine, ça fait trop envie »
…
– « Elo, tu vas bien ? »
Prostrée sur mon siège avant, je n’arrive plus à bouger. Je ne suis pas coutumière des crises d’angoisse, je suis peut-être en train d’en expérimenter une somme toute relativement anodine, me dis-je. Après tout, ce n’est pas tous les jours que l’on dort dans un van en pleine nature à plus de 24h de vol de chez soi dans un endroit dont personne ne connaît l’existence. « Respire, respire ». Je ne peux plus parler. Josselin m’extirpe vers l’arrière du véhicule où doit commencer la seconde partie de notre soirée dîner, lecture puis dodo. Il comprend que j’ai peur. Je n’ose pas lui dire que je ne me l’explique pas et pourtant, je n’ai pas peur, je suis terrorisée. Ce n’est pas conscient, ce n’est pas rationnel, je le sais. Je lui explique que mon corps ne répond plus. J’ai la chair de poule partout, pas celle de quand j’ai froid, une autre, je ne la connais pas. Je la ressentirai à nouveau quelques années plus tard quand un homme me suivra dans les rues de Paris. Je tremble. On m’a déjà décrit la peur animale, je suis tout ce qu’il y a de plus animal à cet instant. J’ai besoin de me cacher, je suis prostrée, je veux fuir.
– « Jo, je sais que c’est irrationnel mais je veux m’en aller de cet endroit. Tous les voyants de mon corps sont au rouge, ça clignote dans tous les sens, il faut qu’on parte. Je sais qu’on n’a pas le droit, que rouler la nuit est dangereux, je sais que… » Il me coupe.
– « Je ne comprends pas, tu sais sincèrement je pense qu’on est beaucoup plus en sécurité ici qu’à Paris ? Mais je ne peux pas te forcer à passer la nuit ici si tu ne vas pas fermer l’oeil »
– « Jo, si on reste ici, on va mourir »
Il éclate de rire. J’éclate de rire avec lui, on ne pense jamais dire quelque chose d’aussi grave à son compagnon, sans aucun fondement. Ma raison se marre, mon corps lui, nous dit de dégager. C’est grotesque peut-être mais pourtant j’en suis convaincue.
– « Ok, tu me laisses aller faire pipi rapidement alors avant de reprendre la route ? »
J’ai du mal à articuler, les lèvres sèches, je n’ai plus de salive, des jambes en coton et les doigts gelés. Hormis la petite lumière intérieure de notre van, on ne voit rien à l’extérieur. Pas un Eucalyptus à l’horizon, pas un rocher, pas le monsieur et son étrange carriole depuis qu’il a soigneusement éteint son feu. Il peut nous voir depuis tout à l’heure, pense-je. – « Ok mais je viens avec toi, tu m’aides à me relever ? On fait vite ! » Mes pieds sont gelés, eux aussi comme si le sang ne circulait plus correctement dans mon corps, trop occupé à passer en priorité absolue quelque chose de non palpable et irrationnel. Oui, mais quoi ? L’intuition ?
La lampe torche est dans la main de Jo. Fermeture de la portière coulissante, la petite lucarne s’éteint d’un seul coup en un claquement de porte qui me semble violent et me fait sursauter. Je me méfie de tout, de tout le monde, même de Jo. Noir absolu. La forêt. J’écarquille mes yeux. C’est fou, je ne vois rien. Je le supplie d’allumer rapidement cette fichue lampe de poche, me faisant de plus en plus agressive. Il rigole nerveusement devant ma panique qui lui semble démesurée. Il parvient à l’allumer.
– « Là, ça va mieux ? »
– « Trouvons ces toilettes sèches et partons tout de suite, dépêche-toi »
– « Ok mais attends on est arrivés tard, je n’ai pas de plan, je n’ai rien, tiens, par-là, il y a un panneau avec le dessin du campground, ce sera indiqué »
On se dirige rapidement vers le tableau. Ces signes dessinés par des humains me rassurent presque, « de la vie est passée par ici », me dis-je. Il avait déjà fait jour et personne n’avait eu peur. Prise d’une bouffée de chaleur presqu’euphorisante me poussant à respirer un grand coup, je relève un peu la tête, là, tout juste au-dessus du panneau que Jo est en train déchiffrer.
– « Jo, il y a un truc noir dessiné sur le tronc de l’arbre au-dessus de ta tête », lui murmure-je, comme si quelqu’un pouvait nous entendre.
– « Attends, je cherche les chiottes », à cent mille lieues de ma découverte.
– « Jo relève cette putain de lumière vers l’arbre au-dessus »
– « Tain, tu commences vraiment à devenir relou ! »
Les arbres qui entourent le campground mesurent des dizaines de mètres. Je lève la tête tétanisée par ce qui nous attend là, gravé dans l’écorce à quelques mètres au-dessus de nos têtes.
– Jo : « C’est quoi ce bordel ? »
ll y a une trentaine d’arbres autour de nous, au bas mot. Pas un seul n’est pas vandalisé.
– « Ce sont des croix inversées, ça représente quoi, des croix sataniques ? »– « C’est chiant, ça donne de l’eau à ton moulin, me dit-il en se marrant, lui-même étonné par la coïncidence. C’est sûrement l’œuvre d’une bande d’ado des alentours. Not that big of a deal »
– « Jo, il y a un truc qui cloche avec cet endroit, pisse stp et on se casse »
Il finit par trouver ses putain de toilettes sèches, je colle mon dos à un mur de celles-ci puis tente de respirer calmement, reprendre mes esprits pour être en mesure d’échapper, passer à l’action. Cela ne peut pas être une coïncidence. Je ne suis pas croyante et pourtant quelque chose me dit de suivre cet instinct dont on m’a tant parlé, animal, inexplicable. Dès lors qu’on a gravi cette montagne, j’ai su que quelque chose clochait, bien avant de voir ces tag. Je ne suis pas croyante mais j’ai foi en ce que je ressens. Nous serions restés ici, quelque chose nous serait arrivé. Je ne sais pas quoi. Je ne dis pas que nous serions morts mais nos vies n’auraient pas eu la même trajectoire, n’auraient plus été les mêmes. Je le sais.
Nous avons redescendu cette montagne, en pleine nuit. Malgré les interdictions et les risques d’amendes. J’ai passé tous les virages de notre tumultueuse descente à vérifier les rétroviseurs, les sens en ébullition, odorat et ouïe absolus. J’ai passé de longs moments à contrôler régulièrement que personne n’était monté à bord de notre véhicule, le van ayant échappé à notre vigilance quelques minutes. Josselin a trouvé un petit coin près d’un lac, il n’y avait personne. « Franchement, je trouve que cet endroit fait bien plus flipper que le premier » me dit-il.
J’avais repris possession de mes moyens, ma respiration était devenue régulière. J’ai souri.
– « Il a dû halluciner le type qu’on s’en aille à cette heure là alors qu’on venait à peine d’arriver, tu ne crois pas ? »
– « Je suis vraiment contente qu’on soit là, bonne nuit mon amour »
Et… tout au fond de mon cœur, merci de m’avoir écoutée et fait confiance. On revient de loin, même si tu ne le sais pas.
Et alors ?!? T’as cherché un peu à savoir s’il y avait eu des rites , des agressions de possédés dans ce campground ? En tout cas, comme toujours, tes mots sont tops. Difficile de s’arrêter de lire et … on attend la suite !!!